«Qu’est-ce qu’on attend?»: prêcher par l’exemple écologique.
La sortie en salle du documentaire Qu’est-ce qu’on attend ? est l’occasion de nous interroger, avec une certaine urgence, sur nos choix de société devant les dérives humaines, sociales et environnementales du libéralisme.
Qu’est-ce qu’on attend ? Le titre du documentaire résonne comme une sonnette d’alarme.
Au lendemain de la démission fracassante en France de Nicolas Hulot, ex-ministre de la Transition écologique et solidaire, cette question redouble d’intensité. Et celle qui la pose, la réalisatrice et auteure française Marie-Monique Robin, le fait en toute légitimité puisqu’elle a aussi signé Le Roundup face à ses juges, un ouvrage (préfacé par Nicolas Hulot) et une docu-enquête remarquée à propos de l’entreprise américaine Monsanto.
« Nicolas Hulot l’a très clairement dit : le pouvoir s’entête dans la politique des petits pas en matière d’écologie », explique Marie-Monique Robin, jointe en France la semaine dernière pour Le Devoir. « On sait ce qu’il faut faire, mais on ne le fait pas. Cela dit, il y a une vraie prise de conscience individuelle au sujet du dérèglement climatique, parce que celui-ci est désormais visible partout. »
Le modèle du libéralisme, qui consiste à produire — et à consommer — toujours plus, de l’utilisation des pesticides et de la dépendance au pétrole aboutit aujourd’hui à un ratage tant collectif qu’individuel.
Le documentaire Qu’est-ce qu’on attend ? se penche sur l’initiative d’une petite commune modèle, championne des « villes en transition », inspirée par l’inventeur du concept : le Britannique Rob Hopkins.
Village résistant
L’histoire se passe à Ungersheim, en Alsace : 2200 habitants, une école communale, une piscine publique, une place centrale, des maisons traditionnelles, quelques fermes agricoles. Un village rural comme un autre, cerné de cultures intensives de blé et de maïs.
À l’initiative de son maire, Jean-Claude Mensch, Ungersheim s’est lancé en 2009 dans un projet de démocratie participative visant l’autosuffisance alimentaire et énergétique, la réduction radicale des produits issus du pétrole et la mise en place d’une monnaie, le radis, qui encourage l’économie locale. Décliné dans toutes les sphères de la vie courante (travail, agriculture, éducation, énergie, transports, habitation), ce modèle de ville en transition vise à terme zéro pesticides, zéro pétrole et zéro déchets.
Moins de 10 ans plus tard, le jardin du village, le Trèfle rouge, réussit à nourrir ses habitants en fruits et légumes biologiques, locaux et solidaires, le tout doublé d’un programme d’insertion sociale. Un écohameau de neuf logements a pris vie, inspiré des techniques ancestrales reprises par les principes de la « construction passive » (matériaux locaux, utilisation de la paille comme isolant, étanchéité, énergie verte, etc.). Le village possède aussi sa cuisine collective, deux chevaux de labour qui tractent en sus l’« autobus scolaire » des enfants du village, une éolienne (2000 watts) et même une centrale photovoltaïque (5,3 mégawatts) qui fournit l’électricité à 10 000 habitants.
Un vrai laboratoire expérimental fondé sur « 21 principes pour le XXIe siècle ». Pourquoi ? « Parce que demain peut être mieux qu’hier et mieux qu’aujourd’hui », comme le résume Jean-Sébastien Cuisnier, un jeune vétérinaire d’Ungersheim reconverti dans le maraîchage bio et la permaculture pour vivre en adéquation avec ses valeurs.
Un conte de fées ? Pas vraiment. La prise de décisions collective ne rallie pas tous les suffrages : sur 2200 habitants, seulement un peu plus du tiers se réunissent de façon régulière pour parler de changements climatiques, de solidarité sociale et de résilience, autant de principes propres au mouvement transitoire. À la longue, certains sceptiques, comme Aymé Moyses, élu municipal et agriculteur céréalier traditionnel d’Ungersheim, finissent par adhérer aux idées et à la vision de leur maire charismatique.
À l’école, on travaille aussi activement à la relève avec des projets scolaires qui conscientisent les enfants autant à l’érosion de la biodiversité qu’au modèle alternatif du vivre ensemble. Car le citoyen est bel et bien au coeur de ce projet collectif qui n’a rien à voir avec un retour en arrière, mais tout à voir avec l’autogestion fondée sur la décroissance économique volontaire.
Un modèle rayonnant
« L’action citoyenne qu’on observe dans ce village est essentielle, explique Marie-Monique Robin. Mais il nous faut changer d’échelle, ramener ce projet à la majorité et, pour cela, nous avons besoin de décisions politiques prises à tous les paliers du pouvoir. Avec une feuille de route raisonnable, ça prendrait vingt ans pour renverser le phénomène au bénéfice de la planète, mais aussi et surtout à celui de l’humain. »
Les mesures politiques tardent à arriver en dépit des sommets sur le climat et des signaux émis par les scientifiques internationaux. Pourtant, le cas d’Ungersheim est transposable à grande échelle, croit-elle. En France, les fermes urbaines ont le vent en poupe ; la mairesse de Paris, Anne Hidalgo, a inauguré cette année la première ferme potagère souterraine (18e arrondissement), qui doit fournir, entre autres, 150 tonnes d’endives certifiées biologiques aux Parisiens. Les potagers prennent racine dans les villes de la France, mais aussi dans certains quartiers de Montréal et plus nettement encore à Toronto, avec le plan d’action GrowTo pour une agriculture urbaine durable à grande échelle.
Les initiatives pour un projet social durable, écologique et solidaire ne cessent de se multiplier ici et là, alors pourquoi cette frilosité des politiques à l’égard de cette avenue altermondialiste ? Dans une oeuvre précédente (film, livre et exposition) intitulée Sacrée croissance, Marie-Monique Robin ciblait la croissance économique (argument clé de nos dirigeants et des campagnes électorales) comme responsable, non pas du progrès collectif, mais de l’enrichissement de l’élite mondiale aux dépens du bien commun.
Alors… qu’est-ce qu’on attend ?