Critique de Mon ami le terroriste
Par Owen Toews
11 décembre 2024
Un couple de personnes âgées, vêtues de vestes bouffantes et scintillantes, se promène le long d’une promenade en bord de mer par une journée hivernale. Dans un café mal famé, ils regardent la mer glacée à travers les fenêtres tachetées de pluie. Sur un canal, ils visitent une réplique caricaturale de l’Arc de Noé en arborant un léger sourire malicieux. En montant sur le pont, les deux époux empruntent consciencieusement un labyrinthe de rampes en bois conçues pour des hordes de touristes qui ne sont pas au rendez-vous. Le couple sont des exilé.es, banni.es depuis trente-sept ans du tiers-monde révolutionnaire dans une Europe morne et solitaire.
Il s’agit de Jose Maria Sison et de Julie de Lima, surnommés par certains « le couple de gauche le plus célèbre des Philippines », et qui font l’objet du nouveau documentaire, délicieux et émouvant, My Friend the Terrorist( Mon ami le terroriste). Sison, professeur d’université, a été surnommé le « Che Guevara des Philippines ». En 1969, il a fondé le Parti communiste des Philippines et la Nouvelle armée populaire. Cette dernière mène depuis lors une guérilla contre l’impérialisme américain et l’État capitaliste philippin. Mon Ami le terroriste oscille puissamment entre des vignettes de la vie placide et solitaire de Sison et de Lima à Utrecht et des scènes conviviales de la vie commune trépidante des territoires autonomes actuellement détenus par la Nouvelle Armée Populaire.
Ces dernières constituent le véritable cœur du documentaire. Au travers d’entretiens individuels et de plans de groupe montrant des célébrations communautaires, des exercices militaires et des cliniques médicales, nous rencontrons une communauté de lutte armée excentrique et sincère qui marche sur la route que Sison et de Lima ont contribué à tracer pour elle il y a des décennies. Loin d’être dogmatique ou dominateur, le film fait apparaître la révolution communiste aux Philippines comme flexible, utile et résonnante. Les gens se l’approprient. « Il y a beaucoup de femmes indigènes qui prennent les armes parce qu’elles sont exploitées, comme notre tribu Mamanwa », dit une jeune ambulancière. « J’ai relevé le défi de répondre à l’appel de la révolution populaire afin de pouvoir défendre ma dignité en tant qu’indigène et d’aider mon propre peuple, les Lumads. Une autre interlocutrice, assise avec son mari et son enfant en bas âge, parle de la lutte comme d’un mode de vie qui traverse les générations. « En tant que parents révolutionnaires, nous souhaitons à nos enfants, qui sont comme nous victimes de l’exploitation et de l’oppression, qu’ils fassent partie du mouvement de libération, qu’ils deviennent eux aussi des révolutionnaires », dit-elle. « Le défi que nous lançons aux enfants qui peuvent comprendre est d’emprunter la route que nous avons construite pour eux. Alors que Sison et de Lima bricolent tranquillement dans un environnement sinistre, la question des routes – et des ponts – se pose avec acuité.
Certes, nous voyons aujourd’hui Sison et de Lima engagés politiquement – participant à des pourparlers de paix, prononçant des discours politiques devant les caméras de leurs ordinateurs. Mais il est tentant de traduire leur exil comme quelque chose qui les rattache à un moment de lutte passé. Parmi les nombreuses histoires d’amour que le film – présenté comme « une histoire d’amour et de révolution » – raconte de manière séduisante, celle qui ressort de manière la plus poignante n’est pas la romance entre Sison et de Lima. C’est l’histoire d’amour entre Sison et de Lima, d’une part, et les jeunes révolutionnaires des Philippines, d’autre part. Les dernières scènes du film sont consacrées à des messages de gratitude sincères transmis à Utrecht par les territoires autonomes. Les images nous laissent le sentiment distinct et exaltant qu’une révolution peut être quelque chose qui dépasse une simple décennie, une génération ou même une longue vie. Après avoir été témoin de l’engagement des jeunes guérilleros envers les façons de penser, de sentir et d’agir que Sison et de Lima leur ont léguées, il semble qu’une période révolutionnaire souvent reléguée aux années 1960 et 1970 n’en soit qu’à ses débuts.
Owen Toews, descendant de mennonites russes, vit à Winnipeg, dans le Manitoba. Il a suivi une formation de géographe au City of New York Graduate Center et est l’auteur de l’ouvrage primé Stolen City : Racial Capitalism and the Making of Winnipeg. Ses autres ouvrages comprennent un roman, Island Falls.
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